Ça y est ! Je suis fiché... Mais pour une infraction au code de la route !!!
Minibus de Ramallah à Jérusalem, de la zone A (administration palestinienne) au territoire annexé par Israël en 1967. Passage au checkpoint de Qalandia, l'un des pires (photo ci-dessus). J'ai le privilège de rester dans le minibus, avec les hommes et femmes âgés et une jeune femme visiblement très malade. Tous les autres passagers descendent et passent le contrôle à pied. Pour nous, c'est une formalité assez simple : leurs papiers les autorisent-ils à aller à Jérusalem ? Carte d'identité, permis de circuler, justification du voyage, selon les cas. Mon énorme sac dans le coffre du bus n'est même pas vérifié. De l'autre côté du checkpoint, nous reprenons nos passagers, mais aussi des passagers du minibus précédent qui ont subi un contrôle beaucoup plus long et dont le bus est déjà reparti. Résultat, six passagers debout dans le minibus. Je cède mon siège à une vieille dame.
Nous faisons 500 mètres, sommes encore en vue du checkpoint, la police nous stoppe : interdit de voyager debout. Mitraillette au point, on fait descendre les six hommes qui voyageaient debout, quatre jeunes, un Palestinien plus âgé et moi. Ce qui, dans n'importe quelle démocratie civilisée, aurait été réglé en 10 minutes avec une amende, va prendre une heure. Nous attendons en plein soleil, un des soldats (il doit avoir 18 ans, est tendu, nerveux, caresse son pistolet mitrailleur obsessivement) met les 5 palestiniens contre un mur, les fouille (j'en suis dispensé; devrais-je protester ? je ferme ma gueule). Vérification des papiers, les miens compris : il les prend, les apporte à sa collègue dans la voiture, il faudra une heure pour vérifier. Le palestinien plus âgé parle anglais, il me récite la traduction d'un poème de Darwish sur l'impuissance, l'impatience. Pendant ce temps, revérification des papiers de tous les occupants du minibus : nous sommes à 500 mètres du checkpoint où tout a déjà été vérifié, mais peu importe, tout est bon pour humilier, rabaisser, faire sentir le poids de l'occupant.
J'essaie de prendre une photo, je me retrouve avec le canon de la mitraillette sur le ventre. Le chauffeur du bus parlemente de son mieux. Au bout d'une heure, les surnuméraires restent au bord de la route, un autre bus va les prendre. Le chauffeur fait descendre un jeune homme et me prend dans le bus; la vieille dame me remercie.
Voilà, c'est trois fois rien, ce n'est pas grave en soi, sauf que pour les Palestiniens, ces contrôles, ces tracas, ces humiliations sont leur vie quotidienne; du coup, je me suis fait des copains dans le bus, le canon de l'arme sur mon ventre a fait un effet héroïque à bon marché. A l'arrivée, je vais prendre un verre avec une jolie passagère, étudiante de Bir Zeit qui venait voir sa grand-mère à Jérusalem.
J'écris ça ce soir dans un bar de Tel Aviv, et je me dis que tous ces jeunes Israéliens autour de moi n'ont aucune idée de ce qui se passe aux checkpoints, ou bien s'en foutent éperdument, ou bien considèrent que c'est normal, lutte contre le terrorisme oblige, ou bien ont été soldats et se sont comportés exactement comme les brutes racistes à qui nous avons eu affaire. Je ne sais pas.
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