mercredi 20 août 2008

ONG

Il est frappant de voir le nombre d'ONGs actives en Palestine. Je suis sûr que la majorité d'entre elles font un travail utile, voire remarquable.
Mais est-il sain pour un pays d'être autant dépendant des ONGs ? Je me souviens de l'Afghanistan au milieu des années 70s (avant les Russes), où il y avait aussi profusion de programmes d'aide. Une des questions qui se posent (très bon article là dessus dans 'This Week in Palestine' du mois d'août; oui, c'est un mensuel...), est celle du développement des leaders palestiniens. Les ONGs favorisent-elles ce développement ? Les leaders doivent-ils se conformer à un modèle pré-établi, conforme aux attentes des donneurs et des ONGs ?
Certaines ONGs sont ici par solidarité, ce qui est très bien, mais la substance de leur contribution est douteuse, me semble-t-il. Ou bien on est capable d'apporter des choses concrètes sur place aux Palestiniens, ou bien on est capable de faire retentir un message pertinent dans un univers plus large que les militants déjà convaincus.
Et ce côté 'do-gooder', content de soi, supérieur, m'irrite profondément.
Je suis content (même si ça n'était pas aussi réfléchi au départ, mais plutôt instinctif) d'être venu ici avec une ONG palestinienne et non point européenne, et d'avoir contribué au plus bas niveau de la^hiérarchie, comme manoeuvre de base sur un chantier.
C'est peut-être grâce à ça que je pourrais mieux témoigner, une fois de retour.

Disneyland arabe







La ville de Jaffa, vieille ville arabe que Napoléon conquit (d'où ses hideuses figurines mises en place par le syndicat d'initiative, indiquant les endroits à voir), a vu se développer sur les dunes au nord de Jaffa la ville de Tel-Aviv. Avec la guerre et l'épuration ethnique de 1948, une bonne partie de Jaffa a été rasée et ses habitants expulsés. Mais c'est un si bel endroit, avec beaucoup plus de charme que la plate Tel-Aviv. Alors on a reconstruit les maisons détruites et c'est devenu un endroit 'artistique', avec des galeries de qualité, disons, variable, des boutiques d'artisanat, des restaurants chics, un marché aux puces... et pratiquement plus un seul arabe dans la partie rénovée de la cité. Pire que les villes 'pittoresques' de Provence ou d'ailleurs, où, au moins, les habitants sont restés, non, ici, c'est Disneyland. On a même conservé une mosquée et l'appel du muezzin.


Je m'élève souvent contre l'appellation de génocide palestinien, qui me paraît absurde, rien à voir avec l'Arménie, la Bosnie ou le Rwanda, ni bien sûr avec la Shoah. Mais 'génocide culturel' est une expression qui me titillait aujourd'hui.


Remarquez, au bout d'une de ses rues si pittoresques, je suis tombé en arrêt devant cette sculpture de Ran Morin, un oranger suspendu, maintenu artificiellement en vie par de l'eau au goutte à goutte, des engrais et des soins minutieux, mais sans lien aucun avec le sol, avec la terre. Et je me suis demandé si Ran Morin n'était pas par hasard anti-sioniste... Pour info, il n'y a plus d'orangers à Jaffa...

Tel Aviv




C'est une ville tellement agréable pour un Européen : tout y est clair, bien indiqué, fonctionnant bien , prévisible, occidental, quoi ! En plus, il fait un temps splendide (encore qu'un peu humide), les plages sont superbes, les filles ne cachent pas leurs appâts (même si elles ont une certaine rudesse, qui vient peut-être de leur passage par l'armée). On vit heureux ici, presque pas de juifs religieux pour vous pourrir la vie comme à J'lem, même les kippas semblent minoritaires. Les bronzages sont à damner un moine (ou une nonne), les bars sont sympas, il y a plein de bars, de boîtes, de musées, etc..


En fait, pourvu qu'il n'y ait pas d'attentats suicides, c'est le meilleur des mondes.


Et donc, pourquoi se préoccuper de ce qui se passe un peu plus à l'Est, pourquoi se casser la tête avec ces problèmes insolubles de Palestiniens, de droits de l'homme, de processus de paix ? Seule compte la sécurité, l'absence d'attentats et pour cela peu importe le prix qu'on doit payer. Ici depuis deux jours, parlant aux uns et aux autres, je comprends un peu mieux cette surdité, ce refus, cette vision hédoniste et sécuritaire à court terme. C'est de plus en plus le sujet qui m'intéresse.


J'aime bien repérer qui porte un pistolet dans la rue. En voici deux, un quasi hippie et, plus drôle, le vendeur de soutien-gorge au marché dit yéménite. Les raisons du permis de port d'arme me sont inconnues et le resteront.

Fichiers de la police israélienne


Ça y est ! Je suis fiché... Mais pour une infraction au code de la route !!!

Minibus de Ramallah à Jérusalem, de la zone A (administration palestinienne) au territoire annexé par Israël en 1967. Passage au checkpoint de Qalandia, l'un des pires (photo ci-dessus). J'ai le privilège de rester dans le minibus, avec les hommes et femmes âgés et une jeune femme visiblement très malade. Tous les autres passagers descendent et passent le contrôle à pied. Pour nous, c'est une formalité assez simple : leurs papiers les autorisent-ils à aller à Jérusalem ? Carte d'identité, permis de circuler, justification du voyage, selon les cas. Mon énorme sac dans le coffre du bus n'est même pas vérifié. De l'autre côté du checkpoint, nous reprenons nos passagers, mais aussi des passagers du minibus précédent qui ont subi un contrôle beaucoup plus long et dont le bus est déjà reparti. Résultat, six passagers debout dans le minibus. Je cède mon siège à une vieille dame.

Nous faisons 500 mètres, sommes encore en vue du checkpoint, la police nous stoppe : interdit de voyager debout. Mitraillette au point, on fait descendre les six hommes qui voyageaient debout, quatre jeunes, un Palestinien plus âgé et moi. Ce qui, dans n'importe quelle démocratie civilisée, aurait été réglé en 10 minutes avec une amende, va prendre une heure. Nous attendons en plein soleil, un des soldats (il doit avoir 18 ans, est tendu, nerveux, caresse son pistolet mitrailleur obsessivement) met les 5 palestiniens contre un mur, les fouille (j'en suis dispensé; devrais-je protester ? je ferme ma gueule). Vérification des papiers, les miens compris : il les prend, les apporte à sa collègue dans la voiture, il faudra une heure pour vérifier. Le palestinien plus âgé parle anglais, il me récite la traduction d'un poème de Darwish sur l'impuissance, l'impatience. Pendant ce temps, revérification des papiers de tous les occupants du minibus : nous sommes à 500 mètres du checkpoint où tout a déjà été vérifié, mais peu importe, tout est bon pour humilier, rabaisser, faire sentir le poids de l'occupant.

J'essaie de prendre une photo, je me retrouve avec le canon de la mitraillette sur le ventre. Le chauffeur du bus parlemente de son mieux. Au bout d'une heure, les surnuméraires restent au bord de la route, un autre bus va les prendre. Le chauffeur fait descendre un jeune homme et me prend dans le bus; la vieille dame me remercie.

Voilà, c'est trois fois rien, ce n'est pas grave en soi, sauf que pour les Palestiniens, ces contrôles, ces tracas, ces humiliations sont leur vie quotidienne; du coup, je me suis fait des copains dans le bus, le canon de l'arme sur mon ventre a fait un effet héroïque à bon marché. A l'arrivée, je vais prendre un verre avec une jolie passagère, étudiante de Bir Zeit qui venait voir sa grand-mère à Jérusalem.

J'écris ça ce soir dans un bar de Tel Aviv, et je me dis que tous ces jeunes Israéliens autour de moi n'ont aucune idée de ce qui se passe aux checkpoints, ou bien s'en foutent éperdument, ou bien considèrent que c'est normal, lutte contre le terrorisme oblige, ou bien ont été soldats et se sont comportés exactement comme les brutes racistes à qui nous avons eu affaire. Je ne sais pas.