mardi 26 août 2008

Dehors


J'étais un peu nerveux, j'avais nettoyé mon appareil photo et mon téléphone, les fichiers dans mon ordinateur avaient des noms anodins, mais tout s'est bien passé: T shirt noir, croix pectorale en bois et air innocent. Je suis venu faire du tourisme sur les pas du Christ, Jérusalem, Nazareth, Tibériade, Bethlehem. Ca passe. Evidemment quelqu'un de plus jeune aurait plus de mal, surtout une jeune femme voyageant seule : elle est bien sûr une proie révée pour les séducteurs palestiniens qui vont abuser de sa naïveté et l'utiliser pour transporter une bombe ou des documents compromettants.
Une fois dans l'avion, je range ma croix et ouvre un livre de Mahmud Darwish sous le regard haineux de ma voisine.
Ca fait du bien de revenir dans un monde à peu près normal, démocratique, équilibré.
Dans les jours qui viennent, je vais écrire quelques articles récapitulatifs, avec ce que j'ai appris, les questions que j'ai, peut-être mes désirs futurs. Je ne sais pas si je continuerai ce blog, qui ne sera plus de voyage, mais d'opinion. Je vais aussi essayer d'écrire un article pour publication, si j'y parviens.

Sosie

J'ai les cheveux coupés court, une barbe de 15 jours, le teint bronzé, et l'air un peu plus athlétique que d'ordinaire. Je prends un verre avec une jeune femme qui parle hébreu dans un café d'un quartier populaire. Un homme de 35 ans environ, peintre en bâtiment apparemment, me regarde s'approche de moi et me parle en hébreu.
Ma convive lui répond 'non', éclate de rire. L'homme sourit et s'excuse (ça a l'air évident, mais sourires et excuses ne sont pas si fréquents ici).
Il a demandé si j'étais le colonel David Ben Zvi qu'il a connu dans l'armée. Ni elle, ni moi ne savons qui est ce colonel (Google non plus, apparemment), mais le fait que je puisse passer pour un colonel de l'IDF nous amuse beaucoup.

Bachir

Un verre dans un bistrot un peu branché de Tel-Aviv avec un activiste israélien anti-occupation de mon âge. On parle de l'indifférence, du fait que très peu réfléchissent, s'opposent à ce qui est fait en leur nom. On parle de l'impact de 'Valse avec Bachir', il me dit "tu vas voir".
De sa voix forte, il interpelle les clients du bar, qui ont la trentaine pour la plupart (trop jeunes pour la guerre du Liban de 1982, mais qui ont pu prendre part à celle de 2006) : "Je suis avec un ami français qui me pose des questions. Qui a vu le film 'Valse avec Bachir' ?". La quasi totalité des mains se lèvent.
"Qu'en avez-vous pensé ?" " bon film, émouvant, très vrai"
" Est-ce que ça a changé votre opinion sur la politique du pays ?" "non, pas de raison, c'est juste un film, de toute façon ça ne regarde pas le Français".
Une seule jeune femme vient nous voir un peu plus tard, prend un verre avec nous, discute; elle était au Liban en 2006. En rentrant, elle s'est engagée dans un mouvement pacifiste. Elle parle de mauvaise conscience, du fait que sa famille, ses amis ne la comprennent pas, font pression sur elle. Elle dit que , face à l'idéologie ambiante, omni-présente, il faut du courage pour oser remettre en question, réfléchir.

Musique exclusive (à Tel Aviv)


Vieilles voitures






Ben Gurion disait qu'Israël serait un pays normal quand il y aurait des gangsters et des putes israéliennes. Un festival de vieilles voitures palestiniennes, est-ce assez pour en faire un pays normal ? J'en doute. Il y a même une 404.

Tektonic à Tel Aviv



Au cours d'une visite guidée des maisons Bauhaus, la voix de la guide est couverte par la musique.

Encore un musée passionnant...


Le Lehi, ou groupe (gang) Stern, ou Freedom Fighters of Israel a aussi son musée, toujours sous l’égide du Ministère de la Défense. Ce groupe a été créé en septembre 1939 au début de la deuxième guerre mondiale, quand les dirigeants de l’Irgun-Etzel ont jugé que, puisque la Grande-Bretagne était en guerre avec l’Allemagne nazie, il fallait faire une trêve dans les combats avec les Britanniques pour la durée de la guerre, traduisant ainsi leur sens des priorités (proclamation de David Raziel, chef de l’Irgun le 5 septembre 1939).
Abraham (Yair) Stern et son second Yitzak Shamir qui deviendra plus tard, lui aussi (comme Begin de l’Irgun), Premier Ministre d’Israël, ont refusé cette trêve et ont décidé que la lutte contre les Britanniques devaient continuer. Certains d’entre eux (Shamir, pourtant chef des opérations du groupe, a toujours dénié avoir été au courant) ont pris contact avec le Troisième Reich par l’intermédiaire de ses représentants à Beyrouth pour lui proposer une alliance : débarrassez-vous des Juifs allemands en les envoyant en Palestine, fournissez-nous des armes et nous ouvrirons un nouveau front anti-Anglais qui vous aidera à les battre. Cet épisode, tout à fait documenté par des documents historiques, ni plus ni moins glorieux que l’alliance tout aussi tactique proposée par le Grand Mufti de Jérusalem aux Allemands, mais nettement plus surprenant, n’est pas mentionné dans ce musée, bizarrement, et, très franchement, je n’ai pas osé poser la question.

Ce qui est bien mentionné, par contre, c’est l’assassinat le 17 septembre 1948 par le groupe Stern du Comte Bernadotte, mandataire de l’ONU chargé de trouver une solution au conflit. Le plan que Bernadotte proposait comprenait :
- une unité territoriale avec deux états (une sorte de confédération)
- l’état juif n’aurait pas de continuité territoriale mais des points de passage
- les juifs auraient une autonomie municipale à Jérusalem
- 300 000 réfugiés arabes pourraient revenir
- l’immigration juive pouvait continuer (sans limite de nombre) pendant deux ans
- après deux ans, immigration et retour des réfugiés serait soumis à l’accord de l’autre état
Quand on lit ce plan (tel qu’il est décrit dans le musée du Lehi), on se dit qu’il était infiniment plus généreux pour les juifs que ne le sont les propositions d’Israël aux Palestiniens depuis 25 ans…
Et comme c’est expliqué dans ce musée (je le rappelle, musée officiel de l’Etat d’Israël), ce plan était inacceptable, donc Bernadotte a été assassiné et ensuite le plan a été abandonné. Une excellente manière de résoudre les problèmes.

Dans le programme du groupe en une vingtaine de points, il est dit qu’Israël doit avoir les frontières prescrites dans la Torah (ça comprend au moins toute la Jordanie et sans doute davantage), mais surtout le point n°14 est éloquent :
« The Gentiles: Solving the problem of the gentiles by population exchange » (il ya bien écrit 'gentiles' et non pas 'Aliens' comme le dit Wikipédia)
En bon français, ça s’appelle de l’épuration ethnique.

Enfin, vous admirerez l’orange et la banane piègées…

Pour la bonne cause

Une longue liste:


20 avril : tirs sur des civils, un mort, un blessé
22 avril : tirs sur des civils
17 août : tirs et jets de grenades sur un train, un mort, six blessés
22 mars : bombe dans un café
11 novembre : bombe dans un garage, deux morts, cinq blessés
27 décembre : tirs sur un autobus et sur un camion
décembre : tirs sur des voitures de civils
11 avril : bombes à retardement dans un train, quatre morts
21 avril : jet de grenade dans un bus
26 juin : bombes dans le marché
5 juillet : tirs sur des bus
6 juillet : bombes dans deux marchés
10 juillet : attaque de la station de bus, 3 morts, 14 blessés
15 juillet : bombe camouflée dans une boîte de concombres dans un marché, des dizaines de morts et de blessés
26 juillet : bombe à retardement dans le marché aux parfums
août : bombe à retardement dans un bus
26 août : bombes dans le marché
Octobre : mine sous un camion
10 août : bombes dans des colis postaux, un mort, trois blessés
20 juin : bombes et tirs dans un marché, 52 morts, 32 blessés
30 juin : bombe dans un café, 12 blessés
30 juin : tirs sur un bus
4 juillet : bombe dans un café, un mort, 42 blessés
5 juillet : bombe sur un camion, trois blessés
2 août : attaque d’une station de radio, un mort, un blessé
27 février : attaque de l’hôtel des impôts
12 juin : attaque d’un train postal, vol de la paye des employés des chemins de fer
22 juillet : bombes, camouflées en bidons de lait (ci-contre), dans un hôtel, 91 morts, des centaines de blessés
9 septembre : destruction de lignes de chemin de fer
31 octobre : bombes contre l’ambassade à Rome
20 novembre : destruction d’un hôtel des impôts
20 février : sabotage d’installations industrielles
29 juillet : meurtre par pendaison de deux sergents ennemis en représailles à l’exécution de deux combattants (non, ce n'est pas le Hezbollah)
4 août : attaque d’un mess à Vienne
5 août : bombe au Ministère des Travaux Publics
14 août : attaque d’un train en Autriche
9 avril : tuerie 'accidentelle' de 100 à 200 civils dans l’attaque d’un village ennemi (plus sur ce sujet ci-dessous)

Un peu lassant, comme liste d’attentats, pour l’essentiel contre des civils : une série accusatrice de crimes de guerre, dirait-on.
C’est un extrait, partiel mais verbatim, des pages 245 à 279 du livre ‘The Irgun’ par Joseph Kister, publié en 2000 par la maison de publication du Ministère de la Défense Israélien (ISBN 965-05-09941), en vente au Musée de l’Etzel à Tel-Aviv pour 30 shekels. Les années vont de 1936 à 1948.
Les trois éléments que j’ai mis en gras sont bien entendu l’attentat de l’hôtel King David (1946), l’assassinat des deux sergents anglais kidnappés et exécutés par l’Irgun (1947), et le massacre de Deir Yassine (1948).

Même pour un observateur plein de sympathie pour 'la bonne cause', tous ces actes sont évidemment en contradiction totale avec le doit international, avec les conventions de Genève, avec la Charte de l’ONU et avec toute conception humaine de la civilisation. Ce sont tous des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité.
On pourrait ajouter le fait que les combattants de l’Irgun – Etzel revêtaient le plus souvent des uniformes britanniques et, dans certains cas, utilisaient des faux passeports d’Afrique du Sud ou du Honduras ; autre crime de guerre, l’utilisation d’hôpitaux comme caches d’armes.
Et ces crimes de guerre, ces attaques contre des civils, ces meurtres sont présentés dans ce musée comme des hauts faits d’arme à glorifier. Le Musée, qui dépend du Ministère de la Défense, avait ce jour là pour seuls visiteurs, à par moi, des militaires bien encadrés, priant pour leurs prédécesseurs morts héroïquement au combat.
Avant de me laisser visiter le musée Etzel / Jabotinsky, un garde a contrôlé mon identité et a vérifié tous les tampons de mon passeport. Heureusement, le seul ‘suspect’ était un tampon jordanien d’il y a 4 ans et j’ai dû répondre à ses questions : ‘vous êtes allé où en Jordanie ? pourquoi ? avez-vous des amis jordaniens ?’ Mais c'est vrai qu'en visitant ce musée, on apprend comment faire une bombe (ci-dessous).

L’actualité de ce musée est étonnante, on pourrait transposer mot pour mot certains des textes (et des actes) dans la situation actuelle. Mais alors c’était pour la bonne cause, alors qu’aujourd’hui, c’est du terrorisme jihado-islamique. Ce pays est vraiment malade !
Est-il besoin d’ajouter que le responsable de la plupart de ces actes, Menachem Begin, est ensuite devenu premier ministre d’Israël ?
Il n'ya rien non plus sur la tentative d'assassinat du Chancelier allemand Konrad Adenauer par l'Irgun (devenu Herut, toujours dirigé par Begin) en 1952.

Il y a un autre Musée de l’Etzel, au bord de la mer, là où était le quartier arabe de Manshiya, partie de la ville arabe de Jaffa qui avait 80 000 habitants en 1948. A la place de Manshyia, rien, un terrain vague, plus une seule maison, plus un seul vestige, excepté ce musée, construit sur des ruines. L’opération contre Jaffa et Manshiya s’appelait Hametz : le nettoyage, l’épuration.
Dans ce second musée, où j’étais encore le seul visiteur en civil au milieu de jeunes soldates de 18 ans en train d’apprendre ‘l’histoire’ (ci-dessous, deriière la vitre), plus d’informations sur Deir Yassine. C’est, d’après l’histoire officielle, la seule fois où les combattants de l’Irgoun-Etzel et du groupe Stern ont voulu prévenir la population civile qu’ils allaient attaquer et que femmes, enfants et vieillards devaient quitter le village avant l’assaut. Pour quoi ne le faisaient-ils pas d’habitude ? Pas d’explication. Et justement, cette seule et unique fois, le camion avec le haut-parleur a eu une roue coincée dans un fossé à un kilomètre du village : pas de chance, on n’a pas pu prévenir les civils. Après la prise du village, les combattants ont annoncé 200 morts : vaine gloriole, les historiens ont ensuite réduit leur exploit à moins de 100 morts, principalement des civils bien entendu, hélas pas prévenus par le haut-parleur bloqué.. On a parfois l’impression d’être pris pour des imbéciles, mais plus c’est gros, plus ça passe.

Sur l’épuration ethnique, il faut lire Ilan Pappé, mais surtout Benny Morris. Ce dernier donne un décompte très précis des villages qui ont été vidés de leurs habitants et des raisons du départ de ces habitants, la quasi-totalité étant le fait que les unités israéliennes régulières (Haganna) ou irrégulières (Irgun-Etzel et Lehi-groupe Stern) ont massacré et chassé les civils. Il fait justice du mythe longtemps répandu par Israël des émissions radio des pays arabes enjoignant aux habitants de partir. Ce qui est très intéressant, c’est que Benny Morris pense que Ben Gurion a eu parfaitement raison de mener cette épuration ethnique, qu’elle était éthique et justifiée, et qu’il est dommage que Ben Gurion n’ait pas eu le courage de la mener à bien jusqu’au bout, jusqu’au Jourdain, jusqu’à la ‘solution finale’ en quelque sorte. C'est assez cohérent...

On me remet gentiment la petite brochure sur les musées militaires (visiteur assidu, j’ai droit à un tarif réduit) titrée State of Israel, Ministry of Defence, Museums Unit, datée de février 1996, tout ce qu’il y a de plus officiel (scan ci-dessous). La page décrivant le premier musée de l’Etzel, au milieu de la brochure, comprend une photo et un texte explicatif de 10 lignes, dont la fin est :

« The exhibit includes documents, press clippings, photographs, weapons, films and audio-visual models bringing to life the terrorist acts and combat operations.»
Et les mots ‘the terrorist acts and’ ont été rayés à la main.

Mais de qui se moque-t-on ? Comment peut-on vivre avec cette mauvaise conscience ?

Encore une histoire de checkpoint


Encore une histoire de checkpoint (photo du mirador à Qalandia). Et pourtant mes passages de détenteur d’un passeport français n’ont rien à voir avec ce qu’endurent les Palestiniens.
Ce matin-là, dans le minibus, une jeune femme avec un bébé qui doit avoir un mois, pas plus. Elle reste dans le bus au checkpoint avec moi et quelques vieilles.
La jeune soldate qui monte dans le bus, accompagné par un homme d’une des sociétés à qui la sécurité est sous-traitée, doit avoir moins de 20 ans. Mépris et brutalité habituels.
La jeune mère a le certificat de naissance du bébé, établi par l’état-civil palestinien, mais il n’est pas encore inscrit sur son laissez-passer israélien qui lui permet d’aller à Jérusalem.
Ma voisine me traduit à mi-voix (et se fait engueuler par la soldate : l’étranger n’a pas besoin de savoir !) : la grand-mère, qui vit à Jérusalem, est mourante, la mère veut qu’elle voit son petit-fils avant de mourir, elle n’a pas encore eu le rendez-vous pour inscrire le bébé sur son laissez-passer, qui prend un mois d’attente.
La soldate s’en fout, le bébé ne peut pas passer, la mère seule peut. Ca commence à chauffer un peu, les vieilles s’énervent, crient, supplient, la jeune mère est en larmes, le chauffeur ne dit rien (on m’a dit que les chauffeurs de ces minibus étaient plus ou moins collabos), la soldate ne veut rien entendre, c’est le ‘mercenaire’, plus calme, plus âgé qui finalement va chercher un sergent qui décide que le bébé peut passer.
Au fait, le mur et les checkpoints, c’est pour la sécurité d’Israël, menacée par un bébé d’un mois. Par contre, on n’a pas vérifié ma valise, ni aucun des autres bagages dans le coffre du bus : on passait tranquillement des armes et des explosifs, aucun contrôle. Sous couvert de sécurité, une fois de plus, humiliation et racisme, la matrice de contrôle.